vendredi 13 décembre 2013

Braque chez Miyake presque comme "Donatello chez les Fauves"


L'art, dans ses divers courants, a toujours inspiré les créateurs de vêtements. Suite à ma visite de l'exposition Georges Braque au Grand Palais, témoin de toute l'évolution de son trait, je souhaite revenir avec vous sur sa participation au déploiement du cubisme par le fauvisme et sur les retombées que l'on peut encore constater aujourd'hui dans la mode. Et puisque l'on fait dans la rétrospective, voyons-voir de quelle manière les collections printemps/été 2010 en ont réinterprété le mouvement.



Mais peut-on parler de cubisme sans parler de Cézanne et Picasso qui en ont donné les bases? « Traitez la nature par le cylindre, la sphère, le cône, le tout mis en perspective, soit que chaque côté d'un objet, d'un plan, se dirige vers un point central », imposa Cézanne lors d'une lettre à Emile Bernard en 1904. Car c'est précisément à la suite d'une exposition de Cézanne que Pablo Picasso lance ce mouvement fondamental de l'art du XXème siècle. Il se met à réaliser des toiles âpres et où la décomposition des objets en lignes géométriques va jusqu'à la perte de conscience de la matière, au seuil de l'art abstrait. Le cubisme "analytique" va ensuite laisser place à une grande pureté dans les découpages de chiffres et de lettres appliqués par la nouvelle technique du collage.

Très proche ami de Picasso, Braque contribue fondamentalement à cette évolution mais restera dans son ombre un long moment. A eux deux, ils font voler en éclats la perspective traditionnelle de la Renaissance pour créer une nouvelle manière d'envisager l'espace. Selon Pierre Daix : « Ce que la rencontre entre Picasso et Braque fait surgir, c'est que le motif n'est plus la peinture. C'est la composition, par ses rythmes contrastés, qui révèle ce qu'il y avait de structural - à condition qu'on sache le lire - dans le motif. »


 L'exposition actuelle du Grand Palais met ainsi en avant le travail de Braque en le démarquant de celui de Picasso afin lui redonner toute sa légitimité.Elle insiste particulièrement sur son attrait premier pour le Fauvisme. Courant artistique symbolisant la libéralisation de la couleur (1905-1910), le Fauvisme survient à la suite d'une expression lancée par Louis Vauxcelles, traitant un salon -comprenant notamment les oeuvres d'Henri Matisse- par « On dirait Donatello chez les fauves ». On rencontre par là de grand aplats de couleurs violentes, revendiquant l'art fondé sur l'instinct. Leur mot d'ordre? Séparer la couleur de sa référence à l'objet pour en accentuer l'expression et réagir contre la douceur de l'impressionnisme. Avec ses paysages d'estaque aux maisons cubiques, Braque passera progressivement du mouvement fauviste au cubisme à partir de 1906. Interruptions dans les lignes, éclatements des volumes, collages, pochoirs... Braque établit les règles de perspective et de tonalités du cubisme. La grande guerre lui vaudra un retour grave et profond autour de natures mortes et objets dans des paysages recomposés...avant de voir arriver ses oiseaux poétiques, mythiques. Si mythiques qu'ils traverseront les époques pour inspirer les créateurs d'aujourd'hui et les inciter à renouveler cet art.



C'est à travers les collections printemps-été 2010 que l'on retrouve ce chamboulement d'aplats colorés et lignes graphiques. Une tendance Arty-Bloomsbery aux motifs abstraits majoritairement empreinte des intérieurs d'artistes cubistes, début du XXème siècle. On la retrouve principalement sur les podiums de Dries Van Notten et Issey Miyake, autour de silhouettes androgynes bohème chic. Par des pièces osant les mixes de motifs folkloriques et géométriques de types Omega Workshop, Dries Van Notten donne un ton audacieux de couleurs sourdes et denses. Mais en cette année 2010, c'est chez le grand Issey Miyake que l'on retrouve le plus cet esprit néo-bohème mixé aux motifs cubistes. Robes longues et fluides se détachent clairement des contraintes et s'harmonisent de motifs brut aux couleurs feutrées du Fauvisme. Les blocs de couleurs superposées génèrent des lignes graphiques renvoyant directement à la mise à plat de la perspective observée dans les tableaux de Braque et Picasso. Inspiré également par les théorèmes de géométrisation, Issey Miyake enrichie sa source artistique cubiste par une technique de plis très rigoureuse tout au long de sa collection. Un mélange foisonnant d'innovation.

Une chose est sure, les créateurs ne cessent de puiser dans les richesses artistiques du passé...et lorsqu'ils les associent aux inspirations de leur environnement actuel, on assiste à un savoureux résultat. Des clins d’œil historiques loin d'être inutiles dans une société où l'on oublis parfois les révolutions artistiques qui font l'art d'aujourd'hui.

Braque au Grand Palais jusqu'au 6 janvier 2014
3 avenue du Général Eisenhower, Paris 8ème